Patagonie chilienne : plongeon dans l'immensité
C'est non sans un pincement au cœur que nous quittons Ushuaïa ce matin là. Les yeux encore collés par le sommeil, nous traversons une dernière fois la petite ville pour aller prendre le bus. Nous ne savions pas encore que la Patagonie Chilienne allait surenchérir de merveilles !
Les 12h de route vers Punta Arenas sont un véritable plongeon dans l'immensité. Des centaines de km de ligne droite gravillonneuse taillée dans la Pampa, pas plus de 4 virages en angle droit, 2 postes frontières (les Chiliens et les Argentins n'étant pas encore tout à fait d'accord sur le tracé, ils ont préféré laisser au milieu une zone franche :), des tourbillons de poussière derrière nous et 3 couleurs déclinées à l'infini devant : le jaune des buissons balayés par le vent ; le bleu du ciel, des lacs et des bras de mer qui s'enfoncent loin dans la terre, le vert de l'herbe grasse et rase, parfois quelques touches de rouge. Et ce paysage s'étale à l'infini. Seuls les chevaux, quelques Guanacos et troupeaux de brebis laissent deviner qu'une Estancia et quelques Gauchos doivent demeurer non loin.
En fin d'après-midi, nous traversons en bac, émerveillés quoi qu'un peu sonnés par cette immensité, le détroit de Magellan !
Puis le ciel se charge, le vent siffle plus fort, et les premières gouttes s'écrasent contre les vitres : il est 18h, nous approchons de Punta Arenas.
Punta Arenas est une ville qui ne triche pas. Port industriel battu par les vents, elle est avant tout une ville d'escale. Pour les marins, comme pour les routards du monde entier qui passionnés de montagne se dirigent vers Torres del Paine. Quelques hôtels un peu plus sophistiqués ont quand même fini par s'y installer ça ou là, mais pas plus. Le nôtre était haut en couleurs : une petite maison de bric et de broc, avec un jardinet saturé de tentes de camping et une colonie de petit chats, qui je dois bien l'avouer m'ont fait marquer le pas en poussant la porte !! Son côté capharnaüm n'avait pourtant d'égal que la chaleur de l'accueil qui nous attendait à l'intérieur, et malgré les morceaux de lino collés les uns aux autres, les chaises dépareillées et les fourneaux en fonte de la cuisine commune dans laquelle le jeune Chilien propriétaire préparait de « l'huile aux œufs » pour les petits déjeuners, je dois bien avouer que le tout formait un ensemble très propre et chaleureux !... enfin au détail près que le chauffage de notre chambre était en panne, et qu'après avoir bravé une pluie cinglante et froide pour un Bife de lomo, nous avons dormi presque habillés sous une montagne de couvertures !
Qu'importe, le lendemain nous partions pour la Terre Promise des randonneurs : Puerto Natales !
Puerto Natales, c'est une toute autre histoire : c'est le temple des routards amoureux de montagne, une toute petite ville aux maisons basses et colorées dans laquelle vous vous sentez tout de suite chez vous. Posée au bord d'un immense lac aux couleurs vertes avec pour toile de fond des sommets enneigés, tout est mignon et la vie est belle à Puerto Natales ! J'en profite pour souligner la gentillesse des Patagons, Argentins et Chiliens confondus, qui sauf exception, se montrent toujours très aimables, et parfois même, patients ;)
ll y règne une effervescence incroyable ! Chaussures de rando collées aux pieds, les trekkeurs de tous horizons y déambulent avec le sourire de celui qui va se lancer à l'assaut de sommets de légende ! Après avoir posé nos sacs dans un délicieux B&B un peu à l'écart de la ville avec un accueil génial et une vue sublime, nous partons donc nous aussi pour le Parc Torres del Paine. Objectif : passer la nuit en refuge, le plus éloigné possible du camp de base pour crapahuter le lendemain jusqu'aux célèbres Torres !!!
Remontés comme des montres suisses, on devra se contenter du refuge de la Torre Norte – les points plus avancés sont pleins. De toute façon le ciel se charge peu à peu jusqu'à devenir noir de geai et laisser s'abattre sur le parc une pluie pénétrante. Qu'à cela ne tienne : quelques briquettes de bois, une bonne bouteille de Malbec, une petite table au coin du poêle et nous voilà partis pour une soirée d'anthologie ! Plus la bouteille descend, plus la taille de nos tours diminue... bien sûr ;)
Avec un délicieux dîner préparé par le refuge pour couronner le tout, nous nous en allons gaiement et plein d'espoir vers notre dortoir... Avec ce qu'il pleut, cela sera forcément mieux demain ! Enthousiastes nous nous glissons dans nos duvets – nos compagnons de chambrée rêvent déjà – et mettons le réveil à 05h30 !! Hé hé, quoi de plus chouette que de partir sur le sentier aux premières lumières ?
Eh bien je vais maintenant pouvoir vous le dire : ce n'est pas parce qu'il pleut comme vache qui pisse la veille, que le soleil brille le lendemain !!! A bon entendeur...
05h30 le réveil sonne – ça n'était pas la peine : nous n'avions pas fermé l'oeil !! La pluie et le vent n'ont cessé de se renforcer toute la nuit. Par les petits carreaux de la fenêtre on n'y voit pas plus loin que quelques cm... Le refuge nage dans une purée de pois blanche. Encore accrochés à l'espoir d'une éclaircie, on se rendort un peu. 07h30 : rien n'a changé... Mais tant pis !!! Les Torres ça se mérite ; la droite, puis la gauche, collant, poncho, bonnet, gants, on zippe, on boutonne, on serre, on sangle, on calfeutre autant que faire se peut, et l'on s'élance le sourire en coin sur le sentier détrempé. Flic, Flac, en moins de deux nous sommes naturellement trempés jusqu'aux os. La pluie horizontale trouve toujours son chemin !! Peu à peu la visibilité devient meilleure malgré le déluge qui se poursuit, et la première heure de sentier traverse une pampa trouée de lacs plus immenses les uns que les autres. Les lapins qui surgissent de chaque buisson font un bout de chemin avec nous, puis commence l'ascension. Le sentier taillé dans les éboulis est étroit mais à l'amont d'une gorge au fond de laquelle coule le torrent que nous suivrons jusqu'à la pente raide qui nous fera bifurquer vers l'ouest pour atteindre les Tours ; la vue est magnifique : au sud, la gorge s'évanouit dans la Laguna Amarga ; au Nord, elle remonte jusqu'à un cirque de sommets enneigés rivalisant de hauteur et de beauté. Le refuge du Campamiento Chileno, que nous croisons et dans lequel nous voulions dormir initialement, est plein comme un œuf !! Nous traçons notre route et pénétrons dans la forêt pendant que le soleil nous gratifie de rayons éblouissants. Youpiii nous allons voir les Torres étincelantes !!... Eh bien non, sachez que ce spectacle ne s'offre que rarement, et c'est dans une tempête de neige que nous sortons de la forêt pour amorcer l'ascension finale : 1h de lutte dans le vent et les flocons sur une pente raide de pierrier avant d'atteindre enfin les Torres !! Congelés, nous immortalisons les Tours avec nos petites trognes devant – enfin le panneau de bois qui indique que nous y sommes, car derrière la Lagunita nous percevons la Torre Sur, devinons la Torre Central, et imaginons la Torre Norte !! Nous nous réfugions dans une mini-grotte pour casser la croûte, et, soyons honnêtes, attendre le plus abrité possible que la tempête se calme et que cela se lève. Pas moyen. Une heure plus tard, après avoir largement usé des largesses de Benjamin pour réchauffer mes mains gelées dans le dos de son pantalon ;), le gel se propageant à mes pieds, nous levons le camp !! Adios las Torres !!!
Rassurez-vous, l'épilogue est heureux : le ciel n'a cessé de s'éclaircir dans notre dos durant le retour, et c'est du refuge, au coin du poêle, autour d'un bon chocolat chaud, que nous découvrirons émerveillés le spectacle des Tours à la lumière dorée du soleil qui se couche ;)
Epuisés mais heureux nous quittons le parc la nuit tombante. Une bonne nuit, un petit déj au bord du lac, et c'est reparti pour El Calafate.
Hasta luego Torres del Paine, après avoir longuement hésité entre les boucles en O et en W pour cause d'incendie et de neige, nous n'aurons fait qu'un I, mais tu nous as régalés ;)
WPTB (alias DreyDrey :)